4- "Une ambiance plus glauque qu'à la carrière " 2/3
Les compagnons s'immobilisèrent aussitôt. Ils levèrent les mains pour montrer leur intention pacifique.
– Je suis la capitaine Eliz Drabenaugen ! cria la Rivenz. Avec mes amis, nous cherchons à rejoindre le capitaine Feueurbach !
Le long silence qui suivit trahit que ce n'était pas le genre de réponse que la sentinelle attendait. Amplifié par l'écho, un murmure véhément atteint les oreilles des voyageurs.
– Grouille-toi, Viv, va prévenir le camp ! Oui, tout de suite, pas dans trois jours !
Puis la voix reprit, bataillant pour rester intimidante :
– Euh, oui... attendez ! Ne bougez surtout pas !
Les minutes s'écoulèrent lentement et tous finirent pas s'asseoir dans les cailloux pour attendre que la Résistance daignât s'occuper d'eux.
– J'espère au moins que vous êtes une demi-douzaine à nous prendre pour cible, là-haut, lança finalement Eliz qui s'impatientait.
Enfin, les graviers de la sente crissèrent et s'éboulèrent sous les pas d'une petite troupe qui montait vers eux. Les compagnons eurent juste le temps de se redresser que l'homme en tête de file débouchait à la vue de tous.
– Eliz ! J'avoue que je commençais à m'inquiéter !
Le capitaine Johann Feueurbach s'avança à grands pas vers sa collègue, et tous deux se saisirent l'avant-bras avant de s'étreindre chaleureusement. Lâchant Eliz, il examina ses amis derrière elle et son visage fatigué s'éclaira d'un sourire soulagé.
– Je vois que vous êtes tous sains et saufs, constata-t-il en laissant son regard s'attarder sur Hermeline. C'est une excellente nouvelle et nous en avons réellement besoin.
Johann serra la main de Yerón et de Kaolan et tapota l'épaule de Saï. Devant Hermeline, il inclina la tête, puis il se retrouva face à Razilda. Il tendit la main avant de la laisser retomber avec gêne. Il finit par se décider pour une brève inclinaison du buste.
– Je... je suis vraiment ravi de vous avoir toujours à nos côtés, dit-il avec élégance.
Pour dissimuler son embarras, il se détourna brusquement et lança :
– Allez, suivez-nous ! Je vais vous faire les honneurs de notre nouvelle cachette.
Encadrés par les résistants parmi lesquels ils ne retrouvèrent aucun visage connu, les compagnons se laissèrent guider jusqu'au bas de la sente. Johann les conduisit ensuite à travers un labyrinthe de monolithes granitiques dont il connaissait parfaitement les ramifications. Lorsqu'ils débouchèrent à l'extérieur, le spectacle qui s'offrait à eux leur coupa le souffle.
Enserrée par les aiguilles rocheuses, une grande arène ronde s'étendait. Une partie des gradins paraissaient directement taillés dans la pierre grise. Une tour carrée la surplombait sans excéder la hauteur des pics de roche voisins. Sur les côtés, des ouvertures en arche se découpaient à intervalles réguliers, laissant deviner que l'édifice cachait sans doute tout un réseau de salles et d'entrepôts. Des pans de murs entiers s'étaient éboulés par endroit. L'arène était construite sans fioritures, intégralement dans la même pierre grise et tourmentée qui constituait le décor. Elle dégageait une impression pesante de grandeur sinistre.
– Ça a de l'allure, n'est-ce pas ? demanda Johann, amusé par leur silence abasourdi. Même en ayant entendu la légende un certain nombre de fois, on n'est pas préparé à un tel spectacle.
Une vaste esplanade s'étendait devant l'arène. Des tentes y étaient montées à côté d'un enclos dans lequel des poules picoraient ce qu'elles pouvaient trouver dans les restes qu'on leur avait jetés. Sur toute sa face sud-ouest, cet amphithéâtre naturel s'ouvrait vers la mer.
– Il était complètement fêlé, votre Roi-Brigand, d'avoir fait construire un truc pareil dans un coin aussi reculé, commenta Saï lorsqu'elle retrouva sa voix.
Johann les guida vers la plus grande des arches qui donnait dans les soubassements de l'arène. Une courte entrée les jeta aussitôt dans un couloir bas de plafonds dont l'inflexion laissait supposer qu'il faisait le tour de l'édifice. Accrochées aux piliers trapus qui soutenaient toute la structure, des lanternes combattaient vaillamment l'obscurité qui y régnait.
Une arche se découpait tout de suite sur leur droite, menant à la zone qui avait été transformée en étable. Les chevaux furent laissés aux bons soins de Jarvis, qui fut ainsi le premier des résistants de la carrière qu'ils retrouvèrent. Et les retrouvailles ne furent pas chaleureuses. Le temps n'avait en rien adouci sa rancœur. Après sa surprise initiale, l'adolescent s'enfonça dans le mutisme. Lorsque les voyageurs s'éloignèrent, il grommela dans sa barbe quelques commentaires peu charitables qui restèrent soigneusement inaudibles. Saï se retourna vivement et lui décocha un regard noir. Elle ne demandait qu'à reprendre une querelle laissée en suspens.
Johann continua la visite en leur montrant les dortoirs, salle de repos, réfectoire et cuisine qui avaient été aménagés à la suite, en dessous des gradins. Toutes ces pièces donnaient sur le couloir circulaire. Quelques objets personnels, teintures et tapis jetés ça et là, peinaient à contrebalancer l'ambiance lugubre et austère qui émanait des lieux. La partie la plus éloignée de l'entrée paraissait avoir été taillée directement dans la roche et les espaces étaient moins vastes et plus sommaires. C'était la zone dévolue au stockage où s'entassaient caisses, barils et gros sacs de jute. Ici, le couloir se rétrécissait et ne laissait la place que pour le passage d'une seule personne.
Les compagnons retrouvèrent avec plaisir Orage et Faucon, ainsi que quelques autres survivants de la carrière, tels que messire Lancewald. Gerda la cuisinière était là, et Emil, l'ancien intendant du palais. Hermeline leur sauta au cou et les étreignit avec un enthousiasme qui les embarrassa affreusement.
Johann passait de salle en salle en les présentant aux autres membres de la Résistance qui se levaient à leur arrivée. Saï essayait de faire tenir tous leurs noms dans sa mémoire lorsqu'elle entendit distinctement un murmure derrière elle.
– C'est Drabenaugen ? Je ne comprends pas comment le capitaine peut encore lui faire confiance.
La voix exsudait tant de mépris que Saï se retourna, horrifiée. Mais elle ne put localiser celui qui s'était ainsi exprimé. La jeune fille resta à l'affût, les oreilles grandes ouvertes, cependant, rien d'anormal ne vint troubler la fin de la visite.
Johann les conduisit finalement dans l'un des trois dortoirs et leur suggéra de s'installer au mieux. Le conseil était difficile à suivre. La grande pièce était froide et lugubre. Des peaux avaient été tendues pour obstruer les meurtrières et protéger du froid de l'extérieur. Des cadres de lits sommaires s'alignaient contre les murs, chargés de couvertures et de fourrures. Les objets personnels des résistants s'entassaient partout où la place le permettait, sous les lits, dans la moindre anfractuosité des murs et parfois même sur des étagères bricolées avec les moyens du bord.
– Tu dors ici, toi ? demanda Eliz assez peu emballée parce qu'elle voyait.
Johann se gratta la nuque avec embarras.
– Ah, euh... non, moi, j'ai préféré une tente dehors, dit-il en se balançant d'une jambe sur l'autre.
– Ha ha, tu m'étonnes, rit Eliz en lui flanquant une bourrade. Moins glauque et tout aussi glacial.
Malgré cet a priori négatif, les compagnons trouvèrent des lits inoccupés et entreprirent de s'installer.
Lorsque Hermeline, échevelée, s'extirpa de sous le lit où elle avait rangé ses quelques affaires, elle arborait une expression particulièrement décidée.
– Bon, si le capitaine Johann croit qu'il lui suffit de nous remiser dans un coin et de s'évaporer pour être tranquille, c'est mal me connaître, annonça-t-elle. J'ai à lui parler, qui m'accompagne ?
Kaolan s'était déjà esquivé. Yerón et Razilda marmonnèrent des prétextes peu convaincants. Ne restait que Saï et Eliz auxquelles il était inutile de poser la question.
Elles trouvèrent le capitaine à l'extérieur de l'arène, fort affairé à brosser ses bottes, assis sur un gros rocher. Comme il était seul, Hermeline lui lança sans préambule qu'elle devait lui parler tout de suite.
Le regard du capitaine glissa au-dessus de sa tête, semblant attendre l'apparition du reste du groupe. Lorsqu'il comprit que ce ne serait pas le cas, il hocha la tête, enfila prestement ses bottes et leur fit signe de le suivre. Il les conduisit à sa tente dont il ouvrit un rabat. Hermeline entra et s'assit à la petite table, sur le seul tabouret. Eliz et Johann restèrent debout. Saï préféra s'effacer et s'installa en retrait, sur le coffre.
– Comme vous pouvez le constater, nous avons agi selon vos désirs, souffla Hermeline en posant la main sur la poignée de son épée. Je suis désormais capable de manier Soleil Triomphant. Maintenant, dites-moi où se trouve mon frère. Je refuse de faire quoi que ce soit tant que je n'aurai pas de ses nouvelles.
– N'ayez aucune inquiétude à ce sujet, la rassura Johann. Avant de partir en mission, Magda m'a confié qu'elle l'avait caché dans un orphelinat de la région d'Hasselbrück. Un groupe de sympathisants sur place surveille de près tout mouvement sulnite suspect.
La tension s'évapora des épaules d'Hermeline.
– Je commençais à croire qu'il lui était arrivé malheur et que personne n'osait me le dire, dit-elle avec soulagement, une main sur la poitrine.
Cette idée horrifia le capitaine Johann.
– Bien sûr que non, jamais nous ne vous cacherions une telle chose ! Nous ne nous permettrions pas de vous surprotéger comme une enfant. Nous avons besoin de notre reine, maintenant.
Hermeline hocha plusieurs fois la tête pour dissimuler son embarras.
– Et... hum, voyons... à quoi devons-nous employer à présent ? demanda-t-elle.
– Nous utilisons toute notre influence pour réanimer la flamme de la rébellion chez les petits seigneurs. En cela, votre aide ne sera pas négligeable.
Alors qu'Hermeline entreprenait de relater ses initiatives auprès de la baronne Walderling et du baron Hasselbach, Saï s'esquiva en catimini, sachant qu'elle allait très vite perdre le fil de la conversation. Maintenant, il ne lui manquait plus qu'à trouver comment elle pourrait se rendre utile. Comme au temps de la carrière.
***
Ce jour-là, après le petit-déjeuner, Yerón décida de prendre du temps pour lui-même et de se replonger dans le contenu de ses recherches. Il espérait que personne n'aurait besoin de lui pour déblayer des éboulis ou déplacer des caisses. Il pourrait ainsi revenir à ses réflexions trop longtemps suspendues. À l'heure où chacun était parti vaquer à ses occupations, il s'installa dans la salle commune. Il choisit l'une des tables les plus proches des longues meurtrières qui laissaient rentrer le froid et la lumière, puis il y étala tous les documents qu'il transportait en les classant par thèmes principaux. Enfin, le jeune homme sélectionna une plume qu'il entreprit de tailler avec application.
– Je me demande bien ce qu'il peut y avoir entre eux pour qu'il l'accepte encore parmi nous, railla soudain une voix de femme venant du couloir qui desservait les salles sous l'arène.
– Je refuse d'y croire, j'espère qu'il a meilleur goût que ça, lui répondit une deuxième voix en s'esclaffant bruyamment.
Un homme et une femme transportant une caisse surgirent devant l'arche de la salle commune.
– N'empêche que je ne vois pas d'autres explications, reprit la femme. Elle a quand même fui le combat à Schelligen pour sauver sa peau. Elle ne mérite même pas son arme. Puis elle réapparaît d'on ne sait où en faisant croire...
Remarquant alors Yerón attablé au fond de la pièce, elle se tut brusquement et vira à l'écarlate. Elle enjoignit son compère à hâter le pas et tous deux disparurent de la vue du jeune homme. Celui-ci fronça les sourcils, préoccupé. Ce n'était pas la première fois qu'il surprenait des propos de ce genre. Il chassa cette inquiétude d'un geste de main agacé. Il se pencherait sur la question plus tard.
Yerón entreprit de relire soigneusement le compte-rendu de l'assemblée de Kadwyn. Quelles informations avaient pu lui échapper parmi tout ce qui s'était dit ?
– Hé, Yerón ! Tu sais où est Kaolan ?
Le jeune homme sursauta et une belle tache d'encre s'étala sur le parchemin qu'il lisait. Saï venait d'entrer dans la salle commune comme une furie et voyant son ami, n'hésita pas à s'asseoir en face de lui.
– Non, je ne sais pas où il est, soupira-t-il, entreprenant de tamponner la tache. Après le petit-déjeuner, il est sorti en disant... hum... qu'il sortait.
Saï se pencha vers lui à travers la table, ses yeux flamboyaient de colère retenue.
– Tu as vu comme il nous évite en ce moment ? Depuis le jour où Razilda a été malade, en fait. Au début, je croyais juste qu'il avait un coup de mou, ou le mal du pays. Mais ça ne s'est pas arrangé. Je comprends pas pourquoi il se comporte comme ça. Ça m'énerve !
À regret, Yerón releva la tête de son parchemin. Il ne pouvait guère rassurer la jeune fille, car l'attitude de leur ami l'inquiétait également.
– Je l'ai remarqué aussi, confirma-t-il. Pourtant, il était devenu bien plus ouvert ces derniers temps. Nous avions même pu avoir quelques discussions fort intéressantes. Je le regrette, mais son comportement m'échappe.
Saï se releva et tapa sur la table.
– Je suis sûre que c'est son espèce de quête à la noix qui le grignote de l'intérieur, lâcha-t-elle brutalement. Mais je finirai bien par savoir de quoi il retourne !
– Pourtant, nous avons beaucoup progressé dans la compréhension de sa quête, argumenta Yerón.
Peine perdue, son amie était déjà partie à grandes enjambées rageuses.
Yerón soupira à nouveau. Il devrait aussi prendre le temps de comprendre ce qui pouvait ainsi perturber Kaolan, mais pas aujourd'hui.
Il se remit au travail. Lorsqu'il relisait les notes prises à la bibliothèque, il pouvait encore entendre les intonations de chacun de ses compagnons alors qu'ils incarnaient les membres de l'Assemblée. Il se revoyait s'activant autour du prétendu coffre ramené de Sulnya'th. Le témoignage d'Améthyste, l'arme de Bastian Hammerstein, pourrait-il vraiment les éclairer sur ce qu'il s'était produit lors de son ouverture ? Après tout, il en avait déjà une idée assez précise.
– Ah, Yerón ! Je ne te dérange pas ?
Le jeune homme releva la tête vers cette nouvelle interruption, les lèvres pincées pour retenir un chapelet d'imprécations. Le capitaine Johann s'avançait vers lui, tout sourire. Il semblait plus guilleret que le jour de leur arrivée. Il avait rafraîchi sa coupe de cheveux et rasé sa barbe, ce qui le rajeunissait agréablement.
– Je cherche votre amie Razilda, l'interrogea-t-il avec espoir. Tu ne l'as pas vue ?
Yerón se contenta de secouer la tête, comptant que cela suffirait à chasser l'importun. Ce ne fut pas le cas. Le capitaine s'appuya sur la table et après un regard circulaire autour de lui pour s'assurer qu'ils étaient bien seuls, il se pencha vers le jeune homme.
– D'ailleurs, je me demandais... je ne sais pas vraiment comment je dois l'appeler, je ne voudrais pas commettre un impair.
Yerón pinça à nouveau les lèvres, mais cette fois, pour empêcher un large sourire incrédule d'éclore sur son visage. Il prit un air confus, pour laisser le capitaine Johann s'enferrer encore un peu tout seul.
– Mais si, voyons, Madame... ou Mademoiselle, parce que je ne connais pas sa situation...
Comme s'il venait seulement de comprendre, Yerón hocha lentement la tête.
– Aaaah, dit-il en se retenant de rire. Nous l'appelons Razilda tout court, maintenant. Vous pouvez faire de même. Ou pas, comme vous voulez.
Puis il replongea son nez dans ses parchemins, signifiant clairement à son interlocuteur qu'il ne souhaitait pas s'attarder davantage sur le sujet. Il avait beau apprécier la vue du capitaine Johann bafouillant et les oreilles écarlates, il devait se concentrer sur la tâche qu'il s'était fixée ou il n'avancerait pas d'un poil. Une fois qu'il l'eût quitté, le jeune homme finit par se lever avec agacement et rassembla ses affaires.
La salle commune n'avait pas été une bonne idée. C'était l'endroit où convergeaient tous ceux qui cherchaient quelqu'un. Ses documents sous le bras, il emprunta le couloir circulaire. Au vu de la faible hauteur de son plafond et de l'intégrité de ses murs, il était évident qu'aucun Ravageur n'était jamais passé par là.
Yerón décida d'aller s'installer sur les gradins, dans un coin de l'arène suffisamment éloigné de l'activité des résistants pour qu'on le laissât tranquille. À l'extérieur, il aurait davantage de lumière, et tout aussi froid qu'à l'intérieur. Il sortit et emprunta les escaliers grossiers qui menaient dans les gradins. Dans l'objectif de passer inaperçu, il monta dans la rangée la plus élevée d'où il dominait toute la piste. Personne ne s'y activait à l'heure actuelle. Des cibles et des mannequins témoignaient qu'il s'agissait habituellement de l'espace dévolu à l'entraînement.
Yerón étala les parchemins sur le gradin et les cala avec des pierres. Cette fois-ci, il jeta son dévolu sur les documents qui relataient le destin des Disparus, comme les appelait Saï. Il sentait confusément que c'était ce sujet qu'il devait creuser, surtout s'il souhaitait aider Kaolan dans sa quête. Aussi reprit-il le trajet que leur troupe avait effectué il y a six-cents ans de cela, en espérant localiser précisément l'entrée du souterrain où ils s'étaient volatilisés.
Une voix le tira de ses réflexions.
– Hum, je te gêne ?
Yerón pivota sur ses talons.
– Eliz, pour l'amour de Fawan ! laissa-t-il échapper, excédé. Qui cherches-tu, toi ?
La Rivenz parut surprise de cette explosion subite.
– Personne, dit-elle, perplexe. Quand je t'ai vu tout seul là-haut, je me suis dit que tu avais peut-être besoin de compagnie.
– Non, je n'ai pas besoin de compagnie ! s'emporta-t-il.
Cependant, ce qu'il capta dans l'attitude d'Eliz l'adoucit soudain.
– On dirait plutôt que c'est toi qui en as besoin, ajouta-t-il alors en étrécissant les yeux pour la scruter. Que t'arrive-t-il ?
Il s'assit sur la rangée de gradins en dessous de celle où il avait étalé ses documents et tapota la pierre à côté de lui pour inviter Eliz à faire de même. Son amie s'exécuta, mais resta silencieuse. Comprenant qu'elle ne pouvait pas ainsi monopoliser le temps du jeune homme sans rien dire, elle fit un effort visible et finit par lâcher :
– Personne n'a besoin de moi ici, c'est pénible.
Les yeux de Yerón s'arrondirent de stupéfaction. Il ne s'attendait vraiment pas à une telle sortie.
– Qu'est-ce que tu racontes ? C'est impossible ! Tu entraînes tout le monde au combat, et le capitaine Johann a besoin de toi pour mettre au point les prochaines opérations.
Eliz se renfrogna.
– Justement, il n'y a plus d'opérations. Johann a besoin de personnes influentes qui ont du réseau pour rassembler des troupes. Comme Magda par exemple. Elle a été envoyée dans le sud dans un autre groupe pour secouer les petits seigneurs. Ou Wolfang qui est parti réunir les bandes de résistants éparpillées. C'est pas un truc que je peux faire, ça.
– Et puis, c'est vrai que tu n'as plus besoin de veiller sur Hermeline, maintenant, ajouta Yerón moqueur, ça doit te faire un grand vide.
La Rivenz se troubla à cette remarque.
– Mais non, pas du tout, voyons ! Ça n'a rien à voir avec elle.
– Ce que tu ressens, c'est peut-être le signe qu'il faudrait que tu commences à vivre pour toi-même, reprit Yerón soudain très sérieux. Que tu réfléchisses à ce que tu aimerais vraiment faire.
Eliz le dévisagea, avec le même saisissement que s'il avait insulté toute sa famille sur sept générations.
– C'est la guerre, Yerón, personne ne fait ce dont il a envie. Surtout pas moi.
– En tout cas, ça te laisse le temps d'y réfléchir, conclut Yerón en se levant.
Eliz comprit qu'il fallait prendre congé et l'imita.
– Oui, réfléchir, c'est ce que je vais faire, soupira-t-elle. J'ai tout le temps. Je te laisse, désolée de t'avoir interrompu.
Yerón lui lança un sourire encourageant, puis retourna vers ses parchemins et oublia complètement son existence.
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